Chloé Delaume

En 2004, je rencontrai Chloé Delaume dans le hall de l’Hôtel Cathédrale de Strasbourg. Pendant plus d’une heure, nous avons parlé. Parlé de son nouveau livre, Corpus Simsi, un objet artistique beaucoup plus proche de Sophie Calle que du roman, publié chez Leo Scheer, un éditeur dont j’aimais l’audace et l’exigence. Ecrire sur un jeu vidéo, enfantin dans la représentation commune, était un geste novateur, provocateur et surtout osé. Encore aujourd’hui nous percevons à sa lecture l’acuité de ce texte, parlant  du nous virtuel, de l’écran et du jeu, protecteurs et supports de projection.

J’avais découvert Le Cris du Sablier, un des rares livres qui vous marque à vie, où la puissance de l’écriture répond à l’intensité du récit. La sachant à Strasbourg  pour une conférence à la librairie Kleber, j’avais insisté auprès de ma redac’ en chef pour faire cet interview. Expliquant que Chloé Delaume n’écrivait pas pour faire beau, pour faire quoi que ce soit mais bien pour être. Elle était dans son écriture, elle était le verbe et sans le verbe elle se serait anéantie. Je n’avais aucun mérite à me dire qu’elle était une vraie auteure, les articles élogieux, sans se départir d’une fascination morbide, du Monde ou de Libé, le faisait avec beaucoup plus de talent que moi.

Elle m’est apparu telle ces héroïnes de Chandler qui porte du noir parce qu’elles sont belles, méchantes et désespérées. Le visage encadré d’un carré de cheveux corbeau, une bouche carmin et des yeux noirs et profonds. Profondément intelligente, fragile, forte de son écriture.

J’interviewais pour la première fois une écrivain et j’avais beau avoir préparer mes questions, réfléchis longuement à ce que je voulais connaître d’elle, j’étais pris entre le sentiment de l’imposture et la fascination. Nous étions jeunes tous les deux, moi dans ce métier qui n’était pas le mien, et elle si jeune et déjà connue.

Maladroitement, je l’ai interrogé sur sa vie. Je ne savais au fond ne faire que cela ; je suis psy, pas journaliste. Elle me dit combien il était difficile de vivre de sa plume, qu’elle venait de divorcer, que l’écran la protégeait de l’angoisse, qu’elle jouait jour et nuit à des jeux vidéo, elle me parla de Arrêt sur Images, une émission de télévision où elle apportait sa silhouette erratique et son regard pénétrant et décalé.

A la fin d’une interview timide, je lui ai demandé de bien vouloir me dédicacer le livre.

-Pour vous ?

-Non pour ma fille ainée, Lili. Elle a 7 ans.

-Elle connaît les sims ?

-Elle les découvre avec moi. Mais surtout elle lira un jour vos livres et je pense qu’elle va les aimer.

Elle prit le livre en souriant, d’une écriture ronde et appliquée, elle écrivit : Pour Lili, les aventures d’un personnage de fiction pire que les autres, avec des bouts de pixel dedans, bien à toi. Elle signa, Chloé.

Centenaire du Temps Retrouvé

Nul besoin d’en dire trop et de le commenter, Marcel Proust c’est éteint il y a 100 ans.

Je viens de lire cette délicieuse BD que tu m’as offert pour mon anniversaire : Céleste. Biens sûr Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet chez Noctambule. Ce livre m’a ému profondément, tant par le personnage rayonnant de Céleste (dont on connait l’interview de 1972, à voir sur le site de l’INA) que par la subtile et intelligente évocation de Proust et de son oeuvre ; c’est délicat et fin, un peu cruel…

Comme les lettre de Proust que j’adore. d’aucune sont découvertes chaque semaine. un exemple sur le site de La Pléiade ( la-pleiade.fr) dont l’incipit à une belle lettre de vacheries et de demande de sous (le PS est écrit en début de lettre !):

 PS – Lettre indispensable à lire jusqu’à la fin, la fin concernant non pas moi mais les absurdes bruits qui courent sur la fermeture de la NRF, absurdes mais que vous avez intérêt à connaître.
      Tendresses,

      Cher ami,

En recevant votre adorable lettre, comme je regrette la mienne partie hier ! Ce que vous me dites de l’impression d’amitié que je vous ai fait éprouver dans un monde desséchant (où Guiche lui-même, moins sensible que vous m’avait dit que l’atmosphère était irrespirable) m’a ému jusqu’aux larmes. 

Quand Flaubert te donne ses conseils d’écriture.

A 9 ans, le petit Gustave Flaubert écrit à son grand ami, Ernest Chevalier, cette lettre. Nous sommes le 31 décembre 1830, le moment pour exprimer ses vœux et ses souhaits pour l’année à venir : « Si tu veux nous associers pour écrire moi, j’écrirait des comédies et toi tu écriras tes rêves ; et comme il y une dame qui vient chez papa et qui nous contes toujours des bêtises je les écrirait. » (l’orthographe est respectée). La dame en question est Julie, la bonne des Flaubert, qui servira de modèle pour un cœur simple.

C’est une belle chose qu’un souvenir ; c’est presque un désir qu’on regrette. (15 Mars 1842). Le résumé de l’Education Sentimentale (1re version achevée 3 ans  plus tard)

Alors qu’il écrit Madame Bovary, Gustave Flaubert va nouer une relation amoureuse, intellectuelle et, pour notre bonheur, épistolaire, avec la poétesse Louise Collet. Ces lettres sont un véritable traité d’écriture, le manifeste du roman moderne. Ma Lili, médite chacune de ses phrases, avant de prendre ta plume.

On arrive au style qu’avec un labeur atroce, avec une opiniâtreté fanatique et dévouée. (15.08.1846 à Louise Collet)

Quand je lis Shakespeare je deviens plus grand, plus intelligent et plus pur.

Serre ton style, fais-en un tissus souple comme la soie et fort comme une cotte de mailles.

Travaille chaque jour patiemment un nombre d’heures égales. Prend le plis d’une vie studieuse et calme ; tu y goûteras d’abord un grand charme et tu en tireras de la force. J’ai eu aussi la manie de passer des nuits blanches ; ça ne mène à rien qu’à vous fatiguer. (le 24 avril 1852 F. écrit à LC, « Avant hier je me suis couché à 5 heures du matin, et hier à 3 heures ». sic)

Il faut se méfier de tout ce qui ressemble à de l’inspiration.

J’écris pour moi, pour moi seul, comme je fume et comme je dors. (16.08.1846)

La phrase ne coule plus, je l’arrache et elle me fait du mal en sortant. (octobre 1847 L.C.)

L’art, au bout du compte, n’est pas plus sérieux que le jeu de quilles. (1851 début de la rédaction de Madame Bovary) LC

Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet… 1852 LC

Nul lyrisme, pas de réflexions, personnalité de l’auteur absente. Ce sera triste à lire ; il  y aura des choses atroces de misères et de fétidité. 1852 LC, toujours à propos de MB.

Je suis un homme-plume. 1852 LC

J’ai le regard penché sur les mousses des moisissures de l’âme. 1852 LC

Toute la valeur de de mon livre, s’il en a une, sera d’avoir sur marcher droit sur une cheveux, suspendu entre le double abîme du lyrisme et du vulgaire. 1852 LC

…Il n’y a rien de plus faible que de mettre en art ses sentiments personnels. 1852 LC

J’ai fini ce soir de barbouiller la première idée de mes rêves de jeune fille. J’en ai encore pour quinze jours à naviguer sur ces lacs bleus, après quoi j’irais au bal et passerai ensuite un hiver pluvieux, que je clorai par une grossesse. 27 mars 1852 LC

Maintenant par combien d’études il faut passer pour se dégager des livres, et qu’il en faut lire ! Il faut boire des océans et les repisser. 1852

Il faut se dégager de l’archaïsme, du mot commun, avoir des idées contemporaines dans leurs mauvais termes, et que ce soit clair comme du voltaire, touffu comme tu Montaigne, nerveux comme du La Bruyère et ruisselant de couleur, toujours. 1852

 Une bonne phrase de prose doit être comme un bon vers, inchangeable, aussi rythmée, aussi sonore . juillet 1852

Médite donc plus avant d’écrire et attache toi au mot. Tout le talent d’écrire ne consiste après tout que dans le choix des mots. C’est la précision qui fait la force. Il en est en style comme en musique : ce qu’il y a de plus beau  et de plus rare c’est la pureté du son. Juillet 1852

Serre, serre, que chaque mot porte. Idem

J’aurais connu vos douleurs, pauvre âmes obscures, humides de mélancolie renfermée, comme vos arrière-cours de province, dont les murs ont de la mousse. Septembre 1852

Les citations sont extraites de sa correspondance, sélectionnée par Geneviève Bollème (1927-2005) Dans  Préface à la vie d’Ecrivain Ed. du Seuil. Ouvrage non réédité malheureusement.

Francis Scott Fitzgerald versus Marcel Proust

Francis Scott Fitzgerald est né en 1896 ; il publie son premier roman This side of Paradise en 1920. Il a 24 ans.

Marcel Proust est né en 1871. En 1919 il  publie chez Gallimard A L’Ombre des Jeunes Filles en Fleurs, et obtient le prix Goncourt. Il a 48 ans. Le roman de Proust n’est qu’une pièce du puzzle de La Recherche du Temps Perdu, roman circulaire dont le propos, ainsi résumé par G. Gennette, est on ne peut plus simple : Et Marcel devint écrivain.

Une génération les sépare, et à la lecture des deux romans, un siècle.

Cependant les deux romans ont un sujet proche :  roman d’initiation, récit de la formation, de l’enfance au début de l’âge adulte, d’un héros qui se rêve et deviendra, écrivain.

Tous deux sont traversés par la Grande Guerre, dont on en devine le bruit et la fureur, (plus qu’elle n’est décrite), marquant le héros d’une profonde désillusion sur le monde.

Les deux héros découvrent la puissance de l’amitié, leur premières désillusions amoureuses, l’un avec Gilberte Swann, l’autre avec Isabelle Borgé, et les deux héros trouveront l’amour auprès d’une jeune fille, libre, belle et insolente.

On sait que L’Envers du Paradis est un roman autobiographique ; on sait que la Recherche est un fiction présentée comme une autobiographie ; que derrière Albertine se cache Alfred Agostinelli, l’amour de Marcel Proust et que Rosalind est bien l’amour de Scott Fitzgerald, Zelda, que l’on retrouve aussi dans Tendre est La Nuit.

Proust meurt en 1922, épuisé et malade, à à-peine 51 ans ; son œuvre continuera à être publiée jusqu’en 1927. Scott Fitzgerald décède en 1940, d’une crise cardiaque, épuisé lui aussi, par l’alcool.

Chacun d’eux représente pour moi les plus grands écrivains de leur génération, marquant la modernité du roman pour le XXème siècle naissant. Mais aussi la description de deux mondes que tout semble opposer et donc …réunir.

Comme ce livre graphique que l’adore qui confronte plus qu’il n’oppose  New-York et Paris et que tu m’avais un jour offert, je me prête à ce jeu pour mes deux écrivains préférés.

MARCEL                                             FRANCIS SCOTT

De l’enfance à la jeunesse                 De l’enfance à la jeunesse

Le narrateur                                       Amory Blaine

Je                                                        Il

Salons                                             Etudes

Lycée Condorcet                                Princeton

Voyages                                             Rêveries

Devenir écrivain                                 Devenir écrivain

Guerre                                                Guerre

Jeunes filles en fleurs                        Flappers

Corsets                                               Jupes courtes

Calèche                                              Automobile

Noblesse                                            Bourgeoisie

Titres                                                  Argent

Faubourg Saint-Germain                   Cinquième Avenue

Eglises                                                Gratte-ciel

Juifs                                                    Noirs

Ancien temps                                     Nouveau Monde

Sonate de Vinteuil                             Jazz

Baudelaire                                          Keats

Glace                                                  Alcool

Champagne                                        Whisky

Répression sexuelle                           Liberté sexuelle

Inhibition                                           libération

Mort de la grand-mère : un deuil infini         Mort de la mère : une libération

Dreyfus                                              Socialisme

Meilleur ami : Robert de Saint-Loup Meilleur ami : Thomas Parke d’Invilliers

Gilberte                                              Isabelle

Albertine                                            Rosalind

Phrase qui se déploie                        Phrase fulgurante

Métaphores                                       Métaphores

Temps perdu                                      Temps qui file

Et si on va plus loin dans La Recherche et qu’on la réfléchit avec Tender is The Night et The Great Gatsby

MARCEL                                             FRANCIS SCOTT

Cote d’Azur                                        Normandie

Hotel Eden Rock                                Grand Hotel de Cabourg

Paris                                                   Paris

Quatuor Capet                                   Quatuor de Jazz

Baie de Balbec                                   Baie de Long Island

Swann                                                Gatsby

Homosexualité                                   Folie

Siècle agonisant                                 Siècle naissant

Asthme                                               Alcoolisme

Amour Impossible                             Impossible de l’amour

Petit Pan de Mur Jaune                          Petite Lumière Verte

Et pour finir…

Génie                                                 Génie

de la Connerie

En 1965, Jean-Claude Carrière publie le Dictionnaire de la Bêtise avec son comparse de Normal Sup’ Guy Betchel, un livre enrichi au fil des décennies et à lire en ces temps où celle-ci se déchaîne chez nos politiques. Dans le combat Suisse-France et la lutte sans merci de nos politiques pour le déni de science en voici deux qui vont te faire dire : ex-equo les cons! La France vient de décider d’ouvrir les stations de ski mais d’interdire l’usage des remonte-pentes ; les Suisses rient : enfin nous allons voir des français faire de la peau de phoques ! Mais les vaudois ne se laissent pas faire, les bars vont pouvoir réouvrir, youpi, mais la musique sera interdite, puis enfin limitée à 75db…

Grace à nos politiques je viens de faire en grand bon en avant dans la connerie ambiante et revoir tous mes enseignements de virologie : le virus prend les remonte-pentes et aime la musique forte!

On attribue à Einstein la citation : Je n’arrive pas à me représenter l’infini, mais quand je vois la bêtise humaine, cela devient possible. Citation probablement apocryphe qu’aurait adoré ton idole, Flaubert, dont le Dictionnaire des Idées Reçues m’enchante toujours autant.

Et comme disent les Tontons Flingueurs : https://youtu.be/EeO1JqBZ6kI

Les Cons ça osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnait.

Emmanuel in Paris

Depuis Flaubert et son Madame Bovary c’est moi, les choses semblaient claires : toute fiction parle de l’auteur. Il y est ; autant dans l’autobiographie, l’exercice mémorialiste que dans la fiction.

Depuis la psychanalyse, les choses semblaient aussi pliées : toute autobiographie est une fiction, et on apprend autant du sujet dans son discours que dans les manques de celui-ci. Même en suivant la règle analytique fondamentale, l’écrivain, le cinéaste, opèrent des choix : celui des mots, des temps forts et des temps faibles de son récit, fait des ellipses, retranche enlève, et souvent oublie, transforme… Le récit autobiographique ne pourrait être un verbatim de la vie, sauf à mourir d’ennui et ne plus rien faire d’autre que le lire. Vertige Borgésien !

De même, depuis Proust d’un côté, Lacan de l’autre, nous savons que la puissance révélatrice de la fiction se loge dans le décalage entre le signifiant et le signifié, ou pour parler comme Proust entre, nom de pays : le nom et nom de pays : le pays. Que toute création est interprétation et qu’il n’y a de vérité que vérité du sujet.

Cependant deux évènements critiques concomitants et pourtant radicalement différents qui « font le buzz » comme dirait une Madame Verdurin moderne, viennent nous rappeler que ces évidences n’en sont pas.

Je veux parler d’un côté du « procès » instruits par les critiques littéraires autour d’Emmanuel Carrère et de son livre, Yoga. On l’accuse tout à la fois « d’ellipse excessive », de « ne pas dire la vérité », (et concomitamment de mettre de la fiction dans un texte autobiographique).

L’ellipse serait une atteinte à la réalité, pire au réel que devrait l’auteur à son lecteur.  Diable, va-t-on faire le même procès à  Flaubert, qui résuma ainsi  magistralement 16 ans de la vie de son héros Frédéric dans l’Education Sentimentale : « Il voyagea.

Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.

Il revint. »

 Dans Yoga de Carrère, lu avant cette ridicule et fausse polémique, ce que j’ai le plus aimé est le portrait « en creux », de l’absente, sa femme Hélène. Elle est là dans les vides, les silences, les manques du discours. Sa présence-absence dessine l’architecture du livre de manière déchirante. Quel  grand art ! quelle réussite !

Nous sommes face à un roman, et comme tout roman  réussi, il touche à  une vérité du sujet bien plus que des « témoignages » factices et sur joués. Le roman n’a rien à  voir avec la téléréalité. Carrère n’est ni Loana, ni les Anges en Psychiatrie…

Deuxième polémique, plus amusante peut-être, mais tout aussi révélatrice du rapport faussé de notre postmodernité avec la fiction. La série délicieuse Emily in Paris. Une feelgood story dont j’avoue me délecter avec un cœur de midinette, qui, oh crime, mettrait en scène un Paris « bourré de clichés », « artificiel », etc. La polémique ne vient plus de nos intellectuels germanopratins mais de la blogosphère youtubeuse et facebooksienne, mais elle est au même niveau, n’ayons pas peur des mots, de connerie.

Il est bien évident que le Paris d’Emily, est celui qu’elle fantasme et voit au travers de ses yeux de jeune américaine naïve. Le propos de Darren Star, l’auteur de la série, n’ayant jamais été de faire un documentaire sur Paris, qui plus est lequel ? celui des Bobo du canal Saint Martin, des laissés pour compte vivant aux marges du périphérique, des riches du XVIème ? Comme Proust rêvant Venise et tombant en extase en arrivant enfin dans la ville- eau, (loin de la déception de sa rencontre avec Parme, ville qui n’était ni rose, ni ne sentant la violette), Emily vit un Paris plein de soleil, de beauté et de séduction. Un Paris qui a autant d’existence que celui de Depardon dans Faits Divers  par exemple, tourné tous les deux dans le 5eme arrondissement. Le Paris de Depardon est celui de sa peur de jeune paysan monté à la capitale, là est la différence.

Oui, il y a des clichés dans cette romance qui n’a aucune prétention sociologique. Le cinéma en est plein, comme le rêve en est construit… va-t-on interdire aux rêveurs de rêver, aux conteurs de conter ? L’habileté et la réussite de cette série est bien de nous montrer, comme Voltaire faisant le persan, un regard sur Paris, sur la France. Et au final cela fait du bien de se penser charmeur, séducteur, arbitre de l’élégance… et parlant si bien anglais !

Quel étrange rapport à la vérité s’instaure-t-il dans notre monde ? Les fake news deviennent valeur de vérité. La dernière stupidité en date est reprise en boucle par des gens à priori instruit : porter un masque est inutile ; les chirurgiens seraient donc si stupides ? Se laver les mains ne sert à rien : Au secours Semmelweis !

Et maintenant toute fiction, cinématographique ou romanesque, devient suspecte de mensonge et de dissimulation. Carrère est un menteur par omission. Mais ne voyons-nous pas dans cette fiction, une vérité du sujet en souffrance aux injonctions paradoxales de notre post-modernité : se retrouver soi-même, et cependant ne pas oublier l’autre dans sa misère ? Carrère est mon semblable, – mon frère, et j’en suis l’hypocrite lecteur qui retrouve une vérité de mon âme autant dans ses phrases que dans ses ellipses narratives.

 l’Emily de Darren Star gauchirait à coup de clichés et d’images chromos, une vérité du lieu, celle de Paris ? Mais son propos est-il un « cinéma du réel » ? Car son Paris est celui que j’aime à aimer. Un Paris qui m’aime et me comprend que je vois souvent dans un rêve étrange et pénétrant.

L’incipit de Baudelaire prend alors une triste vérité : « La France traverse une phase de vulgarité. Paris, centre et rayonnement de la bêtise universelle » (préface aux Fleurs du Mal).