
Comme il est écrit !

Francis Scott Fitzgerald est né en 1896 ; il publie son premier roman This side of Paradise en 1920. Il a 24 ans.
Marcel Proust est né en 1871. En 1919 il publie chez Gallimard A L’Ombre des Jeunes Filles en Fleurs, et obtient le prix Goncourt. Il a 48 ans. Le roman de Proust n’est qu’une pièce du puzzle de La Recherche du Temps Perdu, roman circulaire dont le propos, ainsi résumé par G. Gennette, est on ne peut plus simple : Et Marcel devint écrivain.
Une génération les sépare, et à la lecture des deux romans, un siècle.
Cependant les deux romans ont un sujet proche : roman d’initiation, récit de la formation, de l’enfance au début de l’âge adulte, d’un héros qui se rêve et deviendra, écrivain.
Tous deux sont traversés par la Grande Guerre, dont on en devine le bruit et la fureur, (plus qu’elle n’est décrite), marquant le héros d’une profonde désillusion sur le monde.
Les deux héros découvrent la puissance de l’amitié, leur premières désillusions amoureuses, l’un avec Gilberte Swann, l’autre avec Isabelle Borgé, et les deux héros trouveront l’amour auprès d’une jeune fille, libre, belle et insolente.
On sait que L’Envers du Paradis est un roman autobiographique ; on sait que la Recherche est un fiction présentée comme une autobiographie ; que derrière Albertine se cache Alfred Agostinelli, l’amour de Marcel Proust et que Rosalind est bien l’amour de Scott Fitzgerald, Zelda, que l’on retrouve aussi dans Tendre est La Nuit.
Proust meurt en 1922, épuisé et malade, à à-peine 51 ans ; son œuvre continuera à être publiée jusqu’en 1927. Scott Fitzgerald décède en 1940, d’une crise cardiaque, épuisé lui aussi, par l’alcool.
Chacun d’eux représente pour moi les plus grands écrivains de leur génération, marquant la modernité du roman pour le XXème siècle naissant. Mais aussi la description de deux mondes que tout semble opposer et donc …réunir.
Comme ce livre graphique que l’adore qui confronte plus qu’il n’oppose New-York et Paris et que tu m’avais un jour offert, je me prête à ce jeu pour mes deux écrivains préférés.
MARCEL FRANCIS SCOTT
De l’enfance à la jeunesse De l’enfance à la jeunesse
Le narrateur Amory Blaine
Je Il
Salons Etudes
Lycée Condorcet Princeton
Voyages Rêveries
Devenir écrivain Devenir écrivain
Guerre Guerre
Jeunes filles en fleurs Flappers
Corsets Jupes courtes
Calèche Automobile
Noblesse Bourgeoisie
Titres Argent
Faubourg Saint-Germain Cinquième Avenue
Eglises Gratte-ciel
Juifs Noirs
Ancien temps Nouveau Monde
Sonate de Vinteuil Jazz
Baudelaire Keats
Glace Alcool
Champagne Whisky
Répression sexuelle Liberté sexuelle
Inhibition libération
Mort de la grand-mère : un deuil infini Mort de la mère : une libération
Dreyfus Socialisme
Meilleur ami : Robert de Saint-Loup Meilleur ami : Thomas Parke d’Invilliers
Gilberte Isabelle
Albertine Rosalind
Phrase qui se déploie Phrase fulgurante
Métaphores Métaphores
Temps perdu Temps qui file
Et si on va plus loin dans La Recherche et qu’on la réfléchit avec Tender is The Night et The Great Gatsby
MARCEL FRANCIS SCOTT
Cote d’Azur Normandie
Hotel Eden Rock Grand Hotel de Cabourg
Paris Paris
Quatuor Capet Quatuor de Jazz
Baie de Balbec Baie de Long Island
Swann Gatsby
Homosexualité Folie
Siècle agonisant Siècle naissant
Asthme Alcoolisme
Amour Impossible Impossible de l’amour
Petit Pan de Mur Jaune Petite Lumière Verte
Et pour finir…
Génie Génie
En 1965, Jean-Claude Carrière publie le Dictionnaire de la Bêtise avec son comparse de Normal Sup’ Guy Betchel, un livre enrichi au fil des décennies et à lire en ces temps où celle-ci se déchaîne chez nos politiques. Dans le combat Suisse-France et la lutte sans merci de nos politiques pour le déni de science en voici deux qui vont te faire dire : ex-equo les cons! La France vient de décider d’ouvrir les stations de ski mais d’interdire l’usage des remonte-pentes ; les Suisses rient : enfin nous allons voir des français faire de la peau de phoques ! Mais les vaudois ne se laissent pas faire, les bars vont pouvoir réouvrir, youpi, mais la musique sera interdite, puis enfin limitée à 75db…
Grace à nos politiques je viens de faire en grand bon en avant dans la connerie ambiante et revoir tous mes enseignements de virologie : le virus prend les remonte-pentes et aime la musique forte!
On attribue à Einstein la citation : Je n’arrive pas à me représenter l’infini, mais quand je vois la bêtise humaine, cela devient possible. Citation probablement apocryphe qu’aurait adoré ton idole, Flaubert, dont le Dictionnaire des Idées Reçues m’enchante toujours autant.
Et comme disent les Tontons Flingueurs : https://youtu.be/EeO1JqBZ6kI
Les Cons ça osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnait.
Depuis Flaubert et son Madame Bovary c’est moi, les choses semblaient claires : toute fiction parle de l’auteur. Il y est ; autant dans l’autobiographie, l’exercice mémorialiste que dans la fiction.
Depuis la psychanalyse, les choses semblaient aussi pliées : toute autobiographie est une fiction, et on apprend autant du sujet dans son discours que dans les manques de celui-ci. Même en suivant la règle analytique fondamentale, l’écrivain, le cinéaste, opèrent des choix : celui des mots, des temps forts et des temps faibles de son récit, fait des ellipses, retranche enlève, et souvent oublie, transforme… Le récit autobiographique ne pourrait être un verbatim de la vie, sauf à mourir d’ennui et ne plus rien faire d’autre que le lire. Vertige Borgésien !
De même, depuis Proust d’un côté, Lacan de l’autre, nous savons que la puissance révélatrice de la fiction se loge dans le décalage entre le signifiant et le signifié, ou pour parler comme Proust entre, nom de pays : le nom et nom de pays : le pays. Que toute création est interprétation et qu’il n’y a de vérité que vérité du sujet.
Cependant deux évènements critiques concomitants et pourtant radicalement différents qui « font le buzz » comme dirait une Madame Verdurin moderne, viennent nous rappeler que ces évidences n’en sont pas.
Je veux parler d’un côté du « procès » instruits par les critiques littéraires autour d’Emmanuel Carrère et de son livre, Yoga. On l’accuse tout à la fois « d’ellipse excessive », de « ne pas dire la vérité », (et concomitamment de mettre de la fiction dans un texte autobiographique).
L’ellipse serait une atteinte à la réalité, pire au réel que devrait l’auteur à son lecteur. Diable, va-t-on faire le même procès à Flaubert, qui résuma ainsi magistralement 16 ans de la vie de son héros Frédéric dans l’Education Sentimentale : « Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint. »
Dans Yoga de Carrère, lu avant cette ridicule et fausse polémique, ce que j’ai le plus aimé est le portrait « en creux », de l’absente, sa femme Hélène. Elle est là dans les vides, les silences, les manques du discours. Sa présence-absence dessine l’architecture du livre de manière déchirante. Quel grand art ! quelle réussite !
Nous sommes face à un roman, et comme tout roman réussi, il touche à une vérité du sujet bien plus que des « témoignages » factices et sur joués. Le roman n’a rien à voir avec la téléréalité. Carrère n’est ni Loana, ni les Anges en Psychiatrie…
Deuxième polémique, plus amusante peut-être, mais tout aussi révélatrice du rapport faussé de notre postmodernité avec la fiction. La série délicieuse Emily in Paris. Une feelgood story dont j’avoue me délecter avec un cœur de midinette, qui, oh crime, mettrait en scène un Paris « bourré de clichés », « artificiel », etc. La polémique ne vient plus de nos intellectuels germanopratins mais de la blogosphère youtubeuse et facebooksienne, mais elle est au même niveau, n’ayons pas peur des mots, de connerie.
Il est bien évident que le Paris d’Emily, est celui qu’elle fantasme et voit au travers de ses yeux de jeune américaine naïve. Le propos de Darren Star, l’auteur de la série, n’ayant jamais été de faire un documentaire sur Paris, qui plus est lequel ? celui des Bobo du canal Saint Martin, des laissés pour compte vivant aux marges du périphérique, des riches du XVIème ? Comme Proust rêvant Venise et tombant en extase en arrivant enfin dans la ville- eau, (loin de la déception de sa rencontre avec Parme, ville qui n’était ni rose, ni ne sentant la violette), Emily vit un Paris plein de soleil, de beauté et de séduction. Un Paris qui a autant d’existence que celui de Depardon dans Faits Divers par exemple, tourné tous les deux dans le 5eme arrondissement. Le Paris de Depardon est celui de sa peur de jeune paysan monté à la capitale, là est la différence.
Oui, il y a des clichés dans cette romance qui n’a aucune prétention sociologique. Le cinéma en est plein, comme le rêve en est construit… va-t-on interdire aux rêveurs de rêver, aux conteurs de conter ? L’habileté et la réussite de cette série est bien de nous montrer, comme Voltaire faisant le persan, un regard sur Paris, sur la France. Et au final cela fait du bien de se penser charmeur, séducteur, arbitre de l’élégance… et parlant si bien anglais !
Quel étrange rapport à la vérité s’instaure-t-il dans notre monde ? Les fake news deviennent valeur de vérité. La dernière stupidité en date est reprise en boucle par des gens à priori instruit : porter un masque est inutile ; les chirurgiens seraient donc si stupides ? Se laver les mains ne sert à rien : Au secours Semmelweis !
Et maintenant toute fiction, cinématographique ou romanesque, devient suspecte de mensonge et de dissimulation. Carrère est un menteur par omission. Mais ne voyons-nous pas dans cette fiction, une vérité du sujet en souffrance aux injonctions paradoxales de notre post-modernité : se retrouver soi-même, et cependant ne pas oublier l’autre dans sa misère ? Carrère est mon semblable, – mon frère, et j’en suis l’hypocrite lecteur qui retrouve une vérité de mon âme autant dans ses phrases que dans ses ellipses narratives.
l’Emily de Darren Star gauchirait à coup de clichés et d’images chromos, une vérité du lieu, celle de Paris ? Mais son propos est-il un « cinéma du réel » ? Car son Paris est celui que j’aime à aimer. Un Paris qui m’aime et me comprend que je vois souvent dans un rêve étrange et pénétrant.
L’incipit de Baudelaire prend alors une triste vérité : « La France traverse une phase de vulgarité. Paris, centre et rayonnement de la bêtise universelle » (préface aux Fleurs du Mal).
En 1948, quelques petites années avant sa mort, Gide se fait prendre en photo avec dans les mains le roman Monsieur Souris de Georges Simenon ; il l’écrit fièrement à son ami, jeune ami de 34 ans son cadet…complice de cette privat joke et témoin de l’admiration du vieux maitre des lettres françaises pour l’écrivain voyageur, produisant 5 romans en 4 mois et écrivant à Gide, « pour me reposer, je vais écrire un Maigret ». Gide peut ainsi écrire « je tiens Simenon pour un grand romancier, le plus grand peut-être et le plus vraiment romancier que nous ayons en France aujourd’hui ».
Dans son dossier Simenon, prévu pour une étude qui ne sera jamais rédigée, Gide cite ses romans préférés ; en voici la liste :
L’Homme de Londres
La Veuve couderc
Long Cours
Il Pleut Bergère (« un des rares livres de S. écrit à la première personne », note Gide)
L’Inspecteur Cadavre
La Fuite de Monsieur Monde
L’Ecluse numéro 1
Les Inconnus dans la Maison
La Marie du Port (« un des meilleurs »)
Chemin sans Issue
Malempin (ou S. « fait revivre le passé dans et à travers le présent »)
L’Homme qui Regardait Passer les Trains
Les Rescapés du Télémaque
Les Fiançailles de Monsieur Hire
Au Bout du Rouleau
L’assassin
Le Suspect
Le Coup de Lune
Cette liste s’arrête en 1950, date de la mort de Gide. Celui-ci n’aimera jamais Pédigrée, le roman autobiographique que Simenon porta et travailla longuement ; il lui dira franchement plusieurs fois dans ses lettres.
Débuté le 24.06.2018
Quand Perec écrit Je me Souviens, ces « choses communes », cette description de « l’infra-ordinaire », cette sorte d’épuisement du banal qu’il a travaillé dans Espèces d’Espaces, lieux où j’ai dormi, et autres exercices oulipien, il a 43 ans. J’en ai 15 de plus quand j’ai débuté ce texte. J’écris alors, en préambule ceci : je vais tenter de dérouler ces souvenirs du quotidien, ces temps faibles de la vie, comme contrepoint de mon texte, « Ne pas Oublier », si profondément intime. Ici je serai comme le nomme Barthes, dans l’extime.
Je me souviens que la nuit où Amstrong marcha sur la Lune, les marchands de télévision avaient sorti les postes sur les trottoirs pour que les badauds puissent voir l’exploit.
Je me souviens que la mascotte des Jeux Olympique d’hiver de Grenoble s’appeler « Schuss ».
Je me souviens qu’en France, on avait pas de pétrole mais idées.
Je me souviens que le soir de la mort du général de Gaulle, les émissions de télévision s’interrompirent pour ne pas reprendre.
Je me souviens de Pif Gadget et des haricots sauteurs du Mexique.
Je me souviens d’Eddy Mercx et de Poulidor.
Je me souviens de l’Amoco Cadix et des mouettes couvertes de mazout en une des journaux.
Je me souviens des photos des enfants diformes de Minimata.
Je me souviens que la télévision était en noir et blanc.
Je me souviens que le petit train de « l’interlude » portait sur ses wagons un rébus et qu’il tournait tellement lentement qu’on ne pouvait jamais en connaître la fin.
Je me souviens de Giscard à la Barre et de Mitterrand Président.
Je me souviens des sourcils broussailleux de Pompidou.
Je me souviens que sur la plage, l’on vendait les journaux à la criée.
Je me souviens que les policiers portaient des képis.
Je me souviens que le Général de Gaulle avait interdit la diffusion de la chanson de Gainsbourg, Je t’aime moi non plus.
Je me souviens que pour vingt centimes on pouvait acheter un Malabar.
Je me souviens que Platini jouait à l’AS Saint-Etienne avec Marius Trésor et Rocheteau.
Je me souviens des Radio Libres.
Je me souviens du minitel.
Je me souviens du bruit du modem se connectant : un vrombissement puis un sifflement long.
Je me souviens du téléphone portable Nokia 3210.
Je me souviens que les téléphones avaient des cadrans que l’on tournait avec le doigt pour composer les numéros.
Je me souviens de la victoire des Bleus, Black-Blanc-Beurs en 98.
Je me souviens qu’il n’ y avait pas de supermarché mais des épiceries, pas d’autoroute mais des nationales.
Je me souviens d’Apostrophe avec Bernard Pivot interviewant un Bukowski complètement saoul.
Je me souviens des boites de nougats en forme de borne kilométrique où était écrit : N7 MONTELIMAR.
Je me souviens que l’on fumait partout, dans les avions, les restaurants, les trains, l’école et même à la télévision.
Je me souviens des images des enfants du Biafra, le ventre gonflé sur une terre aride et craquelée.
Je me souviens que l’on disait « Europe numéro un » à la radio avec le carillon de Big Ben pour annoncer les heures.
Je me souviens des tasses Mobil, des queues de tigre Shell, et des figurines de gaulois de chez Antar.
Je me souviens de l’URSS, de la République Démocratique d’Allemagne, de la Yougoslavie, de la Tchécoslovaquie.
Je me souviens Des Enfants du Rock, le samedi soir, avec Philippe Manœuvre.
Je me souviens que les Mobylettes étaient d’abord bleues, puis de couleur orange.
Je me souviens qu’un jour, il a fallu coller et payer, une vignette pour sa voiture.
Je me souviens de l’image floue d’un homme avec une cagoule tenant un homme en joue sur le balcon d’un immeuble de Munich.
Je me souviens que la France avait remporté l’Eurovision avec la chanson de Marie Myriam, L’Oiseau et l’enfant.
Je me souviens des sabots suédois portés avec des pattes d’Eph’.
Je me souviens de mai 68.
Je me souviens du catalogue de la MANUFRANCE, la Manufacture des Armes et Cycles de Saint-Etienne.
Je me souviens qu’il y avait des annonces matrimoniales dans Le Chasseur Français et dans le Nouvel Observateur mais qu’elle ne visait pas le même public.
Je me souviens de SOLIDARNOSC et de son leader à grosse moustache, Lech Walesa.
Je me souviens des colères de Mac Enroe sur le cours central de Roland Garos.
Je me souviens qu’il y avait des pompistes pour servir l’essence.
Je me souviens des premiers clips sur la chaine M6.
Je me souviens du téléphone sans fil BeBop et de ses bornes inscrites d’un trait bleu sur les poteaux.
Je me souviens que les bandes routières étaient jaunes, les zones de stationnement, bleues et Les passages piétons marqués par de gros clous de fer.
Je me souviens que Yukio Mishima c’est suicidé en se filmant et en se faisant Hara-Kiri.
Je me souviens d’avoir eu un Walkman.
Je me souviens des cadeaux Bonux dans les paquets de lessive.
je me souviens des dragibus et des carensac.
Je me souviens que Jean-Claude Bourret nous parlait à la télévision des OVNI.
Je me souviens du premier Paris-Dakar avec les frères Marreau en 4L.
A suivre…
Vous qui entrez, laissez toute espérance. (Dante)
J’aimerai faire, en ce temps confiné, du clos de ma pauvre maison, non plus une prison, mais bien un ermitage. Un havre, une cabane de moine, un phare du bout du monde…
Un lieu où les livres, choisis avec soin et sans exclusive, m’apporteront apaisement, réflexion et fantaisie, et me protégeront du bruit et de la fureur du monde.