Littérature italienne
Certes, il est toujours bon d’avoir une édition, de préférence bilingue, de La Divine Comédie de Dante sur sa table de chevet, surtout si on compte séduire une Béatrice que l’on nommera avec emphase Beatrix jusqu’au moment de la glisser dans son lit. Cependant laissons pour l’instant la lecture de ce texte touffu, aux références obscures, aux étudiantes en littérature italienne. Il suffit de savoir que Virgile accueille Dante, que l’Enfer y est glacé et porte cette inscription, reprise par de nombreux adolescents pédants qui, moi en premier, l’affichèrent sur la porte de leur chambre : Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate, pour briller dans la société des « gens qui parlent des livres qu’ils n’ont pas lus ».
Par contre les lettres italiennes m’ont portées depuis ma découverte concomitante de Venise et du K de Buzzati. Je pense que j’étais en 5eme et mes parents avaient décidés pour Pâques que nous fassions un grand tour de l’Italie. Il fallait alors prévoir les bons d’essence, des lires italiennes par valises, tant la monnaie c’était dévalorisée, s’attendre à se faire « arnaquer » à chaque transaction, quand ce n’était pas dépouillé par des pickpockets ou voir sa voiture sur calles, les quatre jantes dérobées. Ajoutons à cela l’eau non potable, la conduite « sportive » des automobilistes frôlant la Simca de mon père par la droite, la gauche et certainement le toit, les Vespa par nuées, la langue qui se parle avec les mains, à la fois familière et incompréhensible, le pain sans sel et les serveurs en habit, tout cela fit de court voyage mon « Usage du Monde », un temps fondateur de la rencontre avec l’étrange et l’étrangeté.
Et puis il y a eu Venise.
Ah Venise !
Venise me fait battre le cœur à chaque rencontre comme une femme désirable, humide et offerte que l’on retrouve avec volupté et qui cependant se dérobe à chaque fois.
Mais parlons plutôt de Buzzati. Je venais de lire le K, au programme de 6eme et j’avais adoré ces drôles de nouvelles au ton fantastique, une allégorie ironique de la vie, son univers absurde. Plus tard je lu Le Désert des Tartares, un des rares livres que je relis régulièrement, qui me touche de douleur exquise de la vérité chaque fois plus profonde, chaque fois plus vrai. Plus je vieilli, plus je prends conscience que ma vie est identique à le lieutenant Drogo, alors qu’à 20 ans je pensais que jamais on ne m’y prendrait. Attendre Les Barbares, moi ! J’aurais une vie d’aventurier, plein de ports et de femmes. Je ne serais jamais dupe des mirages qui naissent dans le vide des vies désertes. Je partirai, connaitrai des mondes…
« Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint. »
Flaubert avait sacrément raison quand il résuma ainsi 16 ans de la vie de Fréderic, à la fin de L’Education Sentimentale. Valait-elle mieux que celle de Drogo face au désert à attendre les Barbares ? On n’échappe pas au destin, au temps qui passe, que ce soit dans l’étourdissement des voyages ou la contemplation dorée de son désert.
Je n’ai aucune sympathie pour Italo Calvino. Je l’ai longtemps caché, surtout à l’adolescence, car adoré de filles un peu baba-cool que je tentais de séduire ; je trouve ses livres d’une lourdeur puérile et insistante, comme celle d’un enfant porté aux nues par ses parents qui débite des insanités de son invention devant un public qui cache son ennui et son agacement derrière une politesse froide. Buzzati est bien plus cruel, et bien plus drôle, derrière une élégance de la brièveté. Le Baron Perché, que c’est long, sentencieux ! Je n’ai jamais compris qu’on ne range pas Calvino au rayon philosophie à deux balles et à la guimauve, à côté de Paulo Coelho, du Petit Prince, (pour lequel j’ai cependant une tendresse indéfectible, certainement parce que mon admiration des aviateurs ne cessera jamais) ou de Castaneda, le réservant aux adolescentes encore ingrates.
De notre voyage, je me souviens des fresques de Ravenne, avec une immense fierté car elles illustraient la couverture de mon livre d’histoire, le balcon de Romeo et Juliette, tel une promesse encore inconnue de l’Amour, l’Arno gris et majestueux, une pizzeria dans Venise, un hôtel au-dessus d’une boite de nuit où nous n’avions pas pu fermer l’œil de la nuit, Venise encore et le sol de Saint-Marc, les tours en vaporetto, les ruelles comme un labyrinthe rassurant et voluptueux. Et puis Sienne, où la Campo en coquille Saint-Jacques, poudrée et ocre reste définitivement associé au goût voluptueux du Panforte, le pâtisserie mi nougat mi gateau acheté dans une boutique qui embaumait les épices.
Pour un enfant un peu gourmant, comme je le suis toujours, l’Italie est un miracle. On n’y mange des pâtes, des pizzas, et des escalopes a la milanese. Repas fabuleux, arrosés d’eau très pétillante qui sentait le bicarbonate. Moi qui n’avait jamais bu que de l’eau du robinet, j’avais le sentiment de déjeuner au Château Margaux.
Bien sûr il manquait Rome, Naples et bien d’autres villes à ce « grand tour » et la littérature italienne ne pouvait se résumer à un recueil de nouvelles de Buzzati. Jai découvert Rome en lisant les Racconti Romani, (Nouvelles Romaines), de Moravia, un de mes grands amours littéraires adolescent. Aujourd’hui je ne sais si on peut lire sans trouver l’écriture un peu surannée Le Conformiste ou Le Mépris, mais reste les films qui en furent tirés ; le plus grand Godard, un rôle en demi-teinte entre perversion et vide existentiel pour Trintignant, filmé par un Bertolucci pas encore libidineux et très talentueux.
Un jour, au début de mon désir d’écrire, j’ai gagné un concours de nouvelles. Le prix Cesare Pavese décernait par le Groupement des Ecrivains Médecins. Le prix comprenait, outre une plaque qui est bien en vue dans ma bibliothèque, un weekend à San Stefano Belbo, lieu de naissance de Cesare Pavese. La lumière chaude et rase du soleil automnale rendait encore plus ductiles et élégiaques les collines du Piémont qui vallonnaient doucement vers la mer. La même lumière qui nimbait le roman de Pavese que j’avais lu cet été là, La Lune et les Feux. Un roman magnifique…J’avais aussi lu son journal, Le Métier de Vivre, publié après sa mort, en 1952. Un suicide après une courte vie de solitude et de déceptions amoureuses. Pavese s’était donné la mort à 40 ans après avoir publié 5 romans, traduit Moby Dick en italien, (entre autre traductions), connu le succès littéraire. Et moi, à 46 ans, je recevais un prix à son nom, pour une courte nouvelle, après avoir publié deux livres pour enfants. Un prix décerné par une obscure association de vieux toubibs plutôt sympas et rigolards qui publiaient à compte d’auteur des romans touffus et certainement illisibles, des poèmes inspirés et des souvenirs de salle de garde qui n’intéressaient personne.
Il était étonnant, après avoir passé l’été avec Pavese de découvrir, ou plutôt de retrouver, les lieux qui forment la géographie du roman et surtout de revivre l’odeur des foins, des sentiers de noisettes, de la chaleur étouffantes de places silencieuses et pavées de ses villages du Piémont. Et au loin, la mer. Je comprenais l’appel du héros vers ce petit triangle bleu, entraperçu, presque fantasmé plus que vu, entre deux collines.
Ma nouvelle s’intitulait « J’irais à Rome » ; j’en suis encore aujourd’hui très fier. Et je suis encore plus fier qu’elle me fut refusée à un autre concours de nouvelles au prétexte, « que les textes autobiographiques n’étaient pas admis », alors que c’est une pure fiction.
Malheureusement il n’y en eu pas d’autres du même jet.
Pas assez en tout cas pour constituer le recueil à la hauteur de Fictions de Borges qui me fascinait à l’époque. Mais là, nous changeons de continent.
Voilà une liste de classique italien du XXème siècle dont la lecture m’a ravi
Le K Dino Buzzati
Le Désert des Tartares Dino Buzzati
Les Nouvelles Romaines Alberto Moravia
La Lune et les Feux Cesare Pavese
Si c’est un Homme Primo Levi
La Clé à Mollette Primo Levi
Italo Svevo La Conscience de Zeno
Et plus récent :
Montedidio de Erri de Luca, sublime
Gomorra de Roberto Saviano, terrible.
Et malgré tout ce que j’ai dit, il faut au moins une fois dans sa vie ouvrir La divine Comédie de Dante, parcourir Le Prince de Machiavel et certainement lire Le Baron Perché.
A voir :
Le Mépris Jean-Luc Godard d’après Moravia
Le conformiste Bernardo Bertolucci toujours d’après Moravia